Lizy 25 - Les vives.

 Quatre heures trente, debout ! C’est tôt, j’aurais bien dormi encore quelques heures. On se retrouve tous dans la cuisine. Les hommes m’embrassent. Je crois qu’ils sont très contents d’avoir une mousse à bord. On mange du pudding un peu rassis et on boit du thé fort. Vers cinq heures, l’aube se pointe, les hommes remontent les filets. Le capitaine m’a donné une vieille veste pour avoir plus chaud… Je regarde le premier filet qui est tiré sur le pont, il y a d’abord des algues, mais rapidement, ça frétille. Il y a des poissons. Au fur et à mesure que le filet arrive sur le pont, les hommes démêlent les poissons et ils le jettent dans un très grand panier en osier. Ils me disent chaque fois le nom du poisson : lotte, raie, sole, bar… Il y a aussi quelques langoustes et des crabes… J’apprends que la lotte a une grosse vilaine tête mais qu’elle est inoffensive. Par contre, quand ils pêchent une vive, ils lui coupent ses aiguillons venimeux. Je dois regarder attentivement et appeler un homme, si j’en vois une dans un filet ou un panier. Quand deux grands paniers débordent littéralement de poissons, ils les trient et ils les mettent dans d’autres paniers, plus petits. Je reconnais déjà plusieurs poissons. Dans l’ensemble, c’est une bonne pêche, tout le monde est content et couvert d’écailles et d’algues. Les mousses descendent des seaux lestés dans la mer avec une corde… et tout le monde se déshabille, moi aussi. Je suis nue, entourée de solides gaillards tatoués. On va faire quoi ? Norman me dit :
— On se lave…
Aahh, bonne idée ! On doit s’accroupir ou se mettre à genoux, tandis que les mousses versent lentement de l’eau de mer sur nos têtes. Brrr, c’est froid ! Je me frotte bien le visage, le cou et les bras, pour enlever les restes de poissons. Quand on est tous plus ou moins propres, les mousses se lavent aussi, ils sont mignons… Un homme va chercher des culottes et des chemises propres. Je suis habillée comme eux. Norman me dit :
— Ouvre bien la chemise, ça attirera les clients. 
Dès qu’on est rhabillés, on lève l’ancre et on file vers la terre, jusqu’au petit port de Southend-on-Sea. Le bateau accoste vers 10 heures du matin… Il y a marché… sans doute comme tous les jours. C’est marée haute, car on peut facilement monter sur le quai. Les hommes débarquent les paniers pleins de poissons. Quand on est installés, le capitaine me dit :
— Tu dois crier « poissons frais de ce matin ».
Des clients du marché viennent voir notre pêche. Je crie :
— Poissons frais pêchés par le Capitaine Jack, la terreur des poissons !
D’accord, c’est un peu n’importe quoi, mais ça fait rire les acheteurs, c’est le but. Des clients achètent et ils mettent les poissons dans des paniers d’osier. Ce sont les bars qui sont vendus les premiers. Des enfants viennent roder autour de nous. Une fillette demande au Capitaine :
— On pourra avoir ce qui n’est pas vendu, s’il vous plaît ?
— Oui… on vous laissera de quoi manger pour toute la famille. 
Qu’est-ce qu’il est gentil ! Bêtement, j’en ai les larmes aux yeux. Je crie :
— Venez acheter les poissons du Capitaine, le pêcheur le plus généreux d’Angleterre !
Il lève un peu les yeux au ciel, mais il a l’air content. Il me dit :
— C’est une tradition chez les pêcheurs, on appelle ça « la part du pauvre ».
J’aime les pêcheurs, enfin, surtout le capitaine Jack… et sa langue magique. Je fais encore l’article, mais je ne vends pas, c’est trop difficile de s’y reconnaître avec les pennies et les shillings… Norman me fit signe d’un peu ouvrir ma chemise. D’accord, si mes lolos peuvent aider à vendre des poissons, pourquoi pas. En une heure, on a tout vendu et on a donné les poissons les moins chers aux pauvres. D’ailleurs, pourquoi il y a des pauvres et pourquoi près d’un tiers des gens sont des domestiques au service des riches ? Et pourquoi…
— LIZY !
— Pardon, je…
C’est Norman qui me sort de ma bête rêverie. Il me dit :
— Aide à porter les paniers vides dans le bateau.
J’ai tendance à rêver, autant faire ça que penser à tout ce qui m’attend : la traversée de la Manche… la… 
— AAAïïïe
Cette fois-ci, il m’a donné une bonne claque sur les fesses. Ça amuse les badauds et ça me fait porter les paniers vides nettement plus vite. Quand on a tout chargé sur le bateau, le capitaine discute avec un homme. Un des mousses me dit :
— C’est lui qui va surveiller le bateau…
On va tous à la taverne où se retrouvent les commerçants et les gens du pays. On s’installe sur la terrasse… Il n’est pas encore midi, mais on a déjeuné très tôt ce matin et on a pas mal travaillé. Enfin, surtout eux, moi ça ne me fatigue pas trop de montrer mes nichons. Le patron vient saluer les pêcheurs. En me regardant, il dit :
— Une nouvelle recrue ?
C’est le capitaine qui répond :
— Oui et elle nous porte chance, on a tout vendu.
Le patron de la taverne rit et répond en louchant sur mes seins :
— Elle a des arguments… Bon, aujourd’hui, c’est omette au lard.
— Parfait.
Une serveuse nous apporte des bières… Mmmhhhh, ça fait du bien. Je la remercie en souriant. Avant d’être une mousse, j’étais comme elle dans une taverne. Je préfère le bateau, en attendant mieux. Le dessert du jour, c’est de la tarte aux pommes, c’est bon… On n’a pas le temps de traîner et dès qu’on a fini, on repart vers le bateau. Le capitaine donne quelques pièces à celui qui a surveillé le bateau et on part vers… euh… l’Ouest, je pense. On navigue pendant deux jours avant de mettre les filets à la mer. Je commence à savoir vraiment aider. Quand tous les filets sont à l’eau, on va manger et boire un peu d’alcool. Après le repas, le capitaine dit :
— Lizy, après les deux plus jeunes, tu vas t’occuper des deux plus vieux.
Mais non, j’ai pas envie. Il me verse encore un peu de gin… L’alcool fait passer les vieilles bites. C’est Norman et un autre dont j’ai oublié le nom… J’ai sucé tant des bites en près d’un an que je pourrais le faire les yeux fermés. 



J’envoie les deux plus vieux à la fois au 7ème ciel et dans mon estomac. Ils me font des compliments moins jolis que les mousses, genre « Tu es la meilleure suceuse d’Angleterre » et « Tu suces mieux qu’une pute ». Bon, ça, c’est fait. Ensuite, je vais me coucher avec le capitaine et à nouveau, il a des choses à dire à ma chatte… C’est bon, mais je veux un amoureux très riche, un château, des belles robes, des bijoux, des servantes, une… je m’endors.
***
Le lendemain, on se lève tôt et on relève les filets. Je fais bien attention aux vives. Les paniers sont presque pleins. Je demande à Norman :
— Vous croyez qu’on pêchera bientôt des homards ?
— Dès qu’on sera plus à l’ouest, il y a des fonds rocheux très riches en homards, on y sera dans quelques jours… 
On va vendre notre pêche à Margate, ensuite on va manger dans une taverne. À la fin du repas, un pêcheur nous salue. Le capitaine le connaît. L’homme lui chuchote quelque chose à l’oreille. Le capitaine me regarde, puis il remercie l’homme. Qu’est-ce qu’il se passe ??? Le capitaine me dit :
— Viens…
On sort… Il me prend par la taille et il me regarde dans les yeux en disant :
— Tu n’as pas fui tes patrons… Dis-moi la vérité.
Je lui dis tout. Tout : les Indes, le navire, le mariage avec ce salaud de cousin du Roi, le navire. Je vois sa tête changer. Pendant que je pleure, évidemment, il réfléchit puis me dit :
— Tu risques ta vie et nous aussi. Je ne peux faire qu’une chose pour toi : on ne pêche pas et je te conduis sur une plage en France. D’accord ?
— Oui, mais… D’accord et merci beaucoup.
Il entre dans la taverne et bientôt, ils ressortent tous. On embarque dans le bateau et… en route vers la liberté, sauf que je ne parle pas français, je ne connais personne et… Le capitaine me donne une boîte en métal dans laquelle il y a quelques pièces d’argent et de la nourriture. Norman me dit :
— Une fois que tu seras sur la plage, trouve un coin discret. Il y a du soleil, fais sécher tes vêtements et puis trouve du travail dans une ferme ou une taverne.
Le capitaine me dit :
— Tu t’en sortiras, Lizy… Dès que tu peux, envoie une lettre au Blue Shark. Tu écris « dans les docks, Londres », ça arrivera.
— Oui, merci beaucoup pour l’argent et pour tout… 
On navigue plusieurs heures avant d’arriver en vue des côtes françaises. Le capitaine me dit :
— Je me rapproche le plus possible de la plage…
Ils viennent tous m’embrasser… Le capitaine fait descendre une échelle de corde et il me dit :
— Tiens bien ta boîte…
— Merci… merci à tous… je…
— Ne pleure pas, vas-y.
Je descends maladroitement l’échelle de corde… et je saute dans l’eau… Ooohhhhh ! Elle est glacée. Un homme crie :
— Nage !
Oh mon Dieu, je perds la boîte ! Impossible de la retrouver, je dois nager vers la plage. J’ai vite pied, ouf… Je suis sur la plage… elle est immense… Je fais au revoir de la main aux pêcheurs. Il y a du soleil mais je frissonne dans ma robe mouillée. Je vais dans les dunes, comme Norman m’a dit de faire. J’accroche ma robe à un bâton pour la faire sécher et je vais m’asseoir à l’abri du vent pour pleurer sur mon triste fort… Je sais que les Français ne sont plus nos ennemis, de là à penser que les Anglais sont les bienvenus… Le soleil me réchauffe… Soudain, j’entends des cris et des rires. Il y a des gens sur la plage, je vais aller leur demander de l’aide du mieux que je peux. Au moment où je m’apprête à y aller, les gens sur la plage se mettent à crier et à se disputer… J’ose pas y aller… Qu’est-ce que je vais faire ? Seigneur, aidez-moi… Et là, j’entends :
— Mais qu’est-ce tu fous là à poil, toi ?
C’est un jeune homme qui a une bêche et un autre outil dans une main et un gros sac de jute qui a l’air lourd dans l’autre. Ce n’est pas un beau Prince, il est même plutôt laid, mais il n’a pas l’air agressif et il pourra peut-être m’aider. Je ne comprends pas ce qu’il dit, bien sûr. Je lui dis :
— Anglaise… help…
Il me dit quelque chose que je ne comprends pas non plus, puis il désigne ma robe qui flotte au vent et il fait le geste de la mettre. Je fais ce qu’il dit. La robe est encore humide et je frissonne en l’enfilant. Il me donne sa veste… C’est vraiment gentil. Il me donne aussi ses deux outils à porter pour pouvoir mettre le sac sur son épaule. Il me fait un signe de la tête qui doit signifier « Suis-moi, belle inconnue ». On marche sur un petit sentier qui serpente à travers les dunes… C’est long et j’ai peur... Je prends son bras… pour me rassurer. Un peu demeuré ou pas, c’est mon sauveur, il est arrivé juste quand je priais le Seigneur. 

À suivre.

Un grand merci à Bruce Morgan, pour le super dessin.

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