Lizy - 40 Place de Grève.

Je dois toujours obéir à tout le monde, y compris aux servantes. Ça plaît à Florence, mais, ce matin, je n’ai plus de corvées, j’écris. J’ai tout le matériel de l’écrivain : papier, plume, encre… même un verre et une carafe. Bien sûr, je n’ai pas de servantes à ma disposition, mais je vais me rendre indispensable. J’écris quoi ? Euh… le goût sexuel des clients
1 – Voyeur, c’est simple : un homme est dans un placard et il regarde un couple faire l’amour.
2 – Un mari dans le placard regarde sa femme faire l’amour avec une femme, un homme, un couple, deux hommes.
3 – Un mari couche avec sa femme et un autre homme.
4 – Madame et sa bonne ou son valet… ou les deux...
Je n’ai plus d’idées, tout à coup… Je dessine un petit poisson sur mon papier, un merlan, je crois…
— C’est tout ?
Ouch ! Je n’ai pas entendu entrer Florence ! Je lui dis :
— J’ai des idées, mais…
— Mais elles ne viennent pas. Va faire les chambres, si je trouve un cheveu qui traîne… tu referas la corvée pots de chambre. Ça te donnera des idées.
Mais j’en aurais des idées, si elle avait un peu de patience. Je vais vite dire à Maguy et Angèle :
— Je suis de corvée chambre.
Elles ont un grand sourire. Oh, moi, je ne vais pas rester ici longtemps… Je vais… je ne sais pas encore comment m'y prendre, mais je ne resterai pas. Je fais les chambres… c’est long et un peu dégoûtant de faire un lit avec des draps pas propres. Ensuite ce sont les pots de chambres...
À midi, je mange à la cuisine. Zoé vient me dire :
— Dépêche-toi, on fait équipe.
— Oui Mademoiselle.
Après tout, c’est une bonne idée que ce soit les vedettes du spectacle qui se montrent. On marche près des quais… Quelques Messieurs viennent nous parler et nous demander des renseignements. Il y a beaucoup de filles, on a de plus en plus de concurrence. Soudain, Zoé me dit :
— Il y a un truc qui ne va pas, j’ai un mauvais pressentiment, cours.
Elle part en courant. Je n’ai pas le temps de réagir ou hélas, je suis trop lente, des soldats nous entourent. On se retrouve bien une vingtaine de prostituées au milieu d’un groupe de soldats qui nous mettent en joue. Oh mon Dieu ! Ils vont nous tuer ! Un officier nous dit :
— Par ordre du Prévôt, vous êtes arrêtées pour prostitution et racolage.
Les filles gémissent, moi aussi. Des grandes et hautes charrettes arrivent et on doit toutes y monter. Si j’avais imité Zoé à la seconde… On est bien une dizaine de filles serrées les unes contre les autres dans deux charrettes. Pour une fois, je ne suis pas seule à gémir et à pleurer.
La charrette nous promène dans les rues de Paris. La foule vient regarder les prostituées arrêtées, quel beau spectacle ! On est huées par des grosses mémères tandis que leurs enfants nous lancent des fruits pourris. Un de ces fruits tombe sur un soldat. Il tire en l’air et aussitôt, les gens disparaissent en criant. Ce n’est que provisoire… D'autres personnes nous escortent. Une fille dit :
— On va à Saint-Lazare.
Je lui demande :
— Je suis Irlandaise, c’est quoi Saint-Lazare ?
— La prison pour femmes.
Le seul espoir que j’ai, c’est que je suis utile pour « Le monde à l’envers ». Zoé s’est enfuie et elle va prévenir Florence qui va me faire libérer. Il faut un peu de patience… On arrive devant un grand bâtiment gris : la prison Saint-Lazare. Une autre charrette nous suit.



On doit se réunir dans une grande salle qui devait déjà servir sous la Terreur. On s’assied sur le sol. J’attends ma libération toute l’après-midi en gémissant. Une fille me dit :
— Eh ! C’est bon, on est arrêtée, ça arrive dans ce boulot.
Une autre fille ajoute :
— On m’a dit que des proches du Roi ont voulu se promener dans les Tuileries et qu’ils ont été scandalisés de voir toutes les prostituées. Ils vont faire un exemple.
Le soir, un officier arrive avec des soldats qui amènent des cruches d’eau, du pain sec et des fruits. L’officier est un grand maigre aussi sympa que… qu’une guillotine. Il nous dit :
— Mesdemoiselles, le Roi a décidé de se débarrasser des putains qui empuantissent les quais et les Tuileries. En conséquence, vous serez fouettées et marquées deux fois au fer rouge sur la place de l’Hôtel de Ville. Ensuite vous serez envoyées en Martinique et vendues comme esclaves. Mesdemoiselles, j’espère que vous nous offrirez un beau spectacle demain, ensuite bon voyage.
Le démon quitte la pièce. Là, on pleure et on gémit toutes. Le fouet, le fer rouge, l’esclavage, qui peut supporter ça ? Une jolie brune nous montre son omoplate en disant :
— Moi je suis déjà marquée, je n’en suis pas morte et ils ne vont pas nous vendre en Martinique avec des cicatrices de fouet… On va donc passer un sale moment et puis à nous les vacances.
Une fille lui dit :
— Esclave en Martinique, tu appelles ça des vacances ? T'es folle.
Elle répond :
— On est toutes plutôt jolies, on sera servantes sexuelles et on vivra dans les maisons. On n’ira pas cueillir le coton.
Je vais près d’elle et je lui demande :
— Je peux voir votre marque ?
Elle descend la manche de sa robe et je vois la fleur de lys sur son omoplate. Je passe doucement mon doigt dessus, ce n’est pas boursouflé. Je lui dis :
— C’est même joli, mais ça doit faire affreusement mal.
— Pendant quelques minutes, oui. On nous a donné un mélange de graisse pour que ça cicatrise bien.
Elle dit ça comme si elle parlait d’une recette de cuisine. Je lui demande :
— Je peux rester près de vous ?
— Je te rassure ?
— Ouiiii, vous êtes passée par là et vous n’avez pas l’air affolée.
— On va être envoyées dans le Nouveau Monde. On pourra certainement s’échapper. Je m’appelle Ariane.
— Moi Lizy.
C’est une belle brune avec des cheveux noirs, des yeux bruns foncés et la peau mate. Elle est un peu plus âgée que moi. Elle me dit :
— Tu es anglaise ?
— Oui, mais je suis née à Madras aux Indes.
Son assurance, sa façon de parler de la marque au fer rouge, comme si c’était juste une formalité… je l’envie. Elle me dit :
— On va bien ensemble, on trouverait facilement des clients si on était dehors.
On se couche l'une contre l'autre, c’est grâce à elle que je dors un peu.
***
Le lendemain on reçoit de l’eau et du pain, puis on doit monter dans les charrettes. Je vais essayer de raconter les éventements sans trop… me plaindre. Ces charrettes nous conduisent à la place de l’Hôtel de Ville, l’ancienne place de Grève. Il y a foule pour assister au spectacle. Dix poteaux sont dressés sur une estrade. Je dis à Ariane :
— Ils vont nous pendre !!!!
— Mais non, sotte, ils vont nous attacher par les poignets pour nous fouetter un peu.
Nous fouetter un peu !! J’ai tellement peur que je voudrais rapetisser à toute allure, redevenir un fœtus et aller me cacher dans la matrice d’Ariane. Oui, je suis folle… de trouille. Ariane me prend par la main en disant :
— Viens, il vaut mieux être dans les premières. Comme ça, ce sera fait.
Elle me prend par la main, comme si j’étais vraiment sa fille qui a peur et on se faufile à l’arrière de la charrette. Ariane me dit :
— Ne crie pas, ça ne changera rien.
— Ouiiiiii…
Oh mon Dieu ! Devant les poteaux, il y a un brasero dans lequel se trouvent des tiges de fer qui doivent se terminer par des fleurs de lys. C'est ce qui va imprimer la marque au fer rouge dans ma chair. Au secours !!!! On descend et deux hommes me prennent et m’amènent sous une des potences. Je ne hurle pas, comme promis à Ariane. Ils me déshabillent rapidement. Les quatre autres filles aussi. La foule hurle de joie, ils rôtiront en enfer ! On m’attache les poignets à la corde qui pend de la potence. Ariane, qui est à côté de moi, dit :
— Merci les gars, les poignets, c’est mieux que le cou. Hein Lizy ?
Je prononce le plus petit « oui » du monde. Je suis sur la pointe des pieds tandis que le monstre qui nous a fait son discours avant de partir s’adresse à la foule :
— Chers concitoyens, notre Souverain a décidé de débarrasser des putains qui souillent notre belle ville par leurs tenues indécentes. Elles seront fouettées et marquées de la fleur de lys. Ensuite, elles seront vendues aux Antilles. L’argent servira à soigner les pauvres.
Applaudissement de la foule… on entend un homme crier :
— Allez-y, fouettez les putains !
Et si on te fouettait la gueule  ? Les fouets claquent et les lanières viennent s’enrouler autour de nos cuisses.
— Aaaaaaïïïïïeeee.
On crie toute ou presque, Ariane arrive à…
— Aaaaaaïïïïïeeee.
La lanière s’est enroulée autour de mon dos et de mes seins, cette fois-ci. Tout le monde crie : les filles fouettées à cause de la douleur et la foule de plaisir. Vingt fois, les lanières nous brûlent du cou aux chevilles. Quand ça s’arrête enfin, ce n’est pas vraiment fini : deux hommes me maintiennent fermement tandis qu’un troisième me plaque le fer rouge sur l’omoplate. 



Impossible de transcrire le hurlement qui sort de ma bouche et, hélas, je ne m’évanouis pas. Je pends au bout de ma corde, tandis que mes quatre voisines crient à tour de rôle.
Le monstre, maître des cérémonies, vient dire :
— Maintenant nous allons les punir à l'endroit qui leur a permis de pécher !
La foule :
— Ooooouuuuaaaaiiiissss !
Deux hommes me maintiennent à nouveau et le fer rouge vient mordre le milieu de ma fesse droite. Je hurle comme les autres filles.
L’horrible bonhomme crie :
— Aux suivantes !
On nous descend de notre potence et on remonte dans la charrette.
Ariane me dit :
— Tu vois, c’était pas si terrible.

À suivre.

Un grand merci à Bruce Morgan, pour le super dessin.


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