Lizy - 41 On marche.

 On retourne à Saint-Lazare. On gémit toutes, sauf Ariane et quelques autres filles dépourvues de… système nerveux. Il y a deux seaux remplis d’une pâte grisâtre. Une fille nous dit : 
— Il faut en mettre sur les marques au fer rouge. 
On s’aide toutes à le faire. Il y a une autre chef parmi les filles. Elles se connaissent, normal entre chefs. Ariane va lui présenter sa fesse, puisqu’elle a déjà la marque sur l’omoplate. Je suis derrière elle, quasiment son ombre, comme aurait dit Logre. La fille met de la pâte sur mes deux marques. D’abord ça « pique », puis ça soulage. Je dis à Ariane :
— Sans toi, je serais déjà morte.
Elle rit et elle me demande :
— De peur ?
— Ouiiiii ! S’il te plaît, je ferai tout ce que tu voudras, mais laisse-moi rester avec toi.
— Mais oui, Lizy, tu seras ma femme de chambre.
— Même ton esclave.
Elle lève un peu les yeux au ciel, mais ça l’amuse… D’accord, j’ai peur et puis j’ai trop d’imagination et je crains toujours le pire… euh… ici pas besoin d’imaginer : on y est !
Le soir, des gardes apportent de la vraie nourriture. Ariane demande à l’un d’eux :
— On part demain, chef ?
Je suis surprise qu’il réponde, c’est peut-être le fait d’être appelé « chef » qui le décide :
— Oui, à pied jusqu’à un port. Cinq lieues par jour.
— Merci chef.
— Cinq lieues, cinquante lieues, au point où j’en suis... On mange et c’est copieux aujourd’hui : du ragoût avec des patates et des légumes. Quand on a mangé, une fille peureuse comme moi demande à Ariane :
— C’est faisable, tu crois ?
Eh ! Elle est à moi, Ariane ! Elle répond :
— Bien sûr que cinq lieues, c’est faisable. Il faut juste qu’on ait des chaussures.
Ben oui… La douleur des marques au fer rouge se réveille, éclipsant mes angoisses. On remet de la pâte et ça soulage. On est toujours nues et je dors contre Ariane, ma nouvelle maîtresse. Je mélange ma sueur à la sienne, mon odeur à la sienne… On va s’évader et puis… je m’endors.
***
J’arrive à dormir alors que je suis en prison, après avoir été fouettée et marquée deux fois au fer rouge. C’est grâce à Ariane. Très tôt, des détenues nous apportent du pain et des seaux avec de l’eau. Un garde est avec elles, il nous dit :  
— Quand vous aurez toutes bu suffisamment, vous pourrez pisser et chier dedans.
C’est la grande classe Saint-Lazare. Une demi-heure plus tard, des détenues nous apportent des paquets de vêtements et des sabots. J’ai toujours pensé que marcher en sabots, c’est impossible si on ne l’a jamais fait. 
Le vêtement consiste en une blouse sale qui arrive juste sous les fesses. 


Il y a aussi un gros tas de bandes de tissu. Une détenue qui doit venir de la campagne nous montre comment faire : on doit entourer nos pieds de plusieurs bandes de tissus avant de les mettre dans les sabots. Si le pied « nage » dans le sabot, il y a un tas de foin pour le caler. C’est très important, dit-elle.
Est-ce que j’ai déjà dit « c’est un cauchemar » ? Quand on est toutes habillées et chaussées – enfin, façon de parler avec une blouse aussi courte – des gardes nous mettent des colliers de fer autour du cou. Ah, le voilà le vrai cauchemar ! Le collier est assez léger et il se ferme avec la même clé pour toutes les filles. Il est relié par une chaîne au collier de la fille qui nous précède et celle qui nous suit. C’est la folie, on va devoir marcher enchaînées ? Il y a quatre rangées de cinq filles, soit vingt en tout. On va dans la cour de la prison, le portail est ouvert et on voit la foule qui nous attend. Je suis derrière Ariane. Un soldat nous dit :
— Commencez toutes à trois… Un, deux, trois !
On démarre plus ou moins ensemble, nos pas font : « clap, clap, clap », c’est le bruit des sabots sur les pavés. Quatre soldats nous escortent ou nous gardent. De toute façon, il est impossible à cinq filles enchaînées de s’enfuir.
Les passants crient de joie quand ils nous voient sortir enchaînées, les jambes nues et marquées par le fouet. Les gens sont si gentils... Notre groupe de filles enchaînées est suivi par une voiture tirée par deux chevaux. 
On sort de Paris. Le bouche-à-oreille a fonctionné et il y a beaucoup de gens pour regarder les 20 putains enchaînées qui vont être vendues comme esclaves à la Guadeloupe. Dès qu’on sort de Paris, c’est la forêt. 
Après deux bonnes heures de marche, on s'arrête près d’un ruisseau. Trois hommes sortent de la voiture : un officier et deux hommes en civil. Ils ont tous les deux un cahier dans les mains. L’officier dit à cinq filles :
— Allez boire, sans les mains.
Les filles vont se mettre à quatre pattes et elles boivent goulûment ou plutôt, elles lapent. Dans cette position, les chemises remontent et elles ont toutes les fesses à l’air.
De loin, je vois que les hommes écrivent. Plus exactement, un gros homme barbu dessine la série de paires de fesses en l’air devant le ruisseau, tandis que l’autre a l’air d’écrire. Lui, c’est un grand maigre avec une petite moustache. Il forme un duo assez comique. Je dirais qu’il y a un peintre qui fait des esquisses et un écrivain. Tout ça pour nous ?? 
L’officier crie :
— Suivantes !
C’est nous. On va faire les chiennes assoiffées. Boire, ce n’est pas facile sans récipient et sans les mains. On doit laper comme les chiens. On reste là un moment, je pense que nos fesses vont passer à la postérité. Quand on a fini, les cinq filles suivantes vont boire. 
Quand on a toutes bu, on repart. Dès qu’une fille traîne un peu, elle se prend un coup de fouet sur les cuisses ou les mollets.
— Aïïïee !
C’est à mon tour ! Sale brute ! Je ne traînais même pas ! Enfin si, un peu. Ils ont l’œil, j’ai l’impression qu’ils ont appris à faire marcher des filles enchaînées.
Même en dehors de Paris, il y a des gens qui sont là pour nous regarder passer. À midi, on s’arrête près d’un village, dans un pré, et on peut enfin s’asseoir. On a marché plusieurs lieues. Enfin, environ deux, d’après Ariane. 
Plusieurs villageois viennent nous voir de près. J’entends une grosse paysanne dire à un soldat :
— Je pensais jamais que ça se ferait, vingt d'ju !
— Eh si ma bonne dame ! C’est le projet de Monsieur le Ministre de la Police.
Je murmure à Ariane :
— Tout est arrangé d’avance.
— Bien sûr. Impossible de faire ça, sinon.
On va s’installer dans un pré. S'asseoir les fesses nues dans l’herbe, c’est pas très agréable, mais ça fait tellement de bien de reposer ses jambes. Une des filles nous dit :
— Surtout n’enlevez pas vos sabots, vous ne pourriez plus les remettre.
C’est la fille de la campagne, donc on fait ce qu’elle dit. J’ai mal au cou à cause du collier de fer, même s’il n’est pas très lourd, à une omoplate et à la fesse à cause des marques au fer rouge, ainsi qu'aux cuisses qui ont été fouettées pendant la marche, et enfin aux pieds dans les sabots. 
Des paysans viennent nous apporter des pommes et des pains. C’est tout. Ariane dit :
— On mangera certainement bien, ce soir.
Comment se fait-il qu’elle sache tout ? De toute façon, que le Ciel l’entende. On mange, on boit, on se repose un peu. L’écrivain et le peintre font leur boulot. Les quatre soldats et l’officier mangent de leur côté. 
Une heure plus tard, on repart. J’ai toujours mal partout et j’ai déjà soif. On s’arrête au milieu de l’après-midi dans un autre village, à côté d’un puits. Il y a un long abreuvoir pour les chevaux et les animaux domestiques. C’est là qu’on doit boire. Un des soldats dit :
— Pourvu qu’elle ne refile pas de maladies aux chevaux, on aurait dû commencer par eux. 
Stupides soldats, je voudrais les noyer dans l’abreuvoir ! Ils boivent l’eau du puits, comme l’écrivain et le dessinateur… Les villageois viennent nous observer, surtout quand on lape l’eau de l’abreuvoir. Quand on a bu, on a de nouveau le droit de s’asseoir par terre, pour se reposer. Je suis toujours collée à Ariane. Son calme est la seule chose qui me rassure.
Je vois l’officier ou le sous-officier arriver vers moi avec les artistes. Je serre la main d’Ariane. Il me demande :
— C’est toi Lizy ?
— Oui… Monsieur… l’officier.
Le peintre fait mon portrait, ça va être beau : je suis couverte de poussière et vêtue d’une courte chemise sale et trempée de sueur. 
Ils retournent vers la voiture. Les fouets claquent, on repart. On marche encore et toujours. Je regarde les fesses d’Ariane juste devant moi.
En fin d’après-midi, on arrive dans un village qui se trouve près de Saint-Germain-en-Laye, d’après ce que j’entends. On fait le tour de la place du village. Les villageois viennent nous regarder, ravis du spectacle. Un soldat leur demande :
— Où se trouve la ferme Beauval ?
Plusieurs personnes nous indiquent le chemin. Ils nous escortent même jusqu'à une grosse ferme à la sortie du village. Le paysan nous attend à l’entrée de sa ferme avec sa famille et ses ouvriers… L'officier et les deux artistes descendent de voiture et vont les saluer. Quel événement ! Le paysan nous conduit jusqu’à une grange de grande dimension. On rentre tous et là, miracle, les soldats viennent ouvrir nos colliers. On se frotte toutes le cou et la nuque. La fille de la campagne dit à un des soldats : 
— Est-ce qu’on peut enlever les sabots, pour faire sécher les bandes ?
— Oui, ce serait mieux. 
Plus de collier de fer, plus de sabots ! Je les enlève, j’ai les pieds tout endoloris, mais pas de blessures heureusement. L’écrivain écrit et le peintre nous dessine. 
Des jeunes gens viennent nous apporter le repas. Oh ! Il y a d’énormes omelettes, du lard frais et du pain ! Il y a des écuelles pour mettre la nourriture  et des cuillers de bois pour manger. C’est le grand luxe. On apporte aussi des seaux pleins d’eau. Pour terminer, il y a différents fruits. Quand on a toutes mangé, les hommes de la ferme reviennent. Un soldat leur dit :
— Les filles sont à votre disposition.
Mais on pue ! Oh ça, c’est le cadet de leurs soucis ! Un jeune homme vient me mettre sous le nez une bite qui n’est pas plus propre que mes pieds. Les deux artistes immortalisent ce moment, l’odeur en moins, heureusement pour ceux qui liront ou verront leurs œuvres. Ariane aussi a une bite dans la bouche. On suce des paysans, des garçons de ferme… 

À suivre.

Un grand merci à Bruce Morgan, pour le super dessin.

Nos 7 livres illustrés sont ici : 
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