600 - 34 Montmartre

Paris, 1885.
Il y a des enfants qui ont le grand privilège de naître dans des familles de riches aristocrates. C’est très, très loin d’être on cas. On dit que l’argent ne fait pas le bonheur, mais je n’en suis pas sûre. Quand on travaille dans une blanchisserie à laver du linge toute la journée et ensuite à vendre des petits bouquets de fleurs à la sortie des théâtres et des restaurants, on pense vraiment que l’argent fait le bonheur. D’accord, je sais que c’est plus compliqué que ça. La santé par exemple... La mienne est bonne, sinon, avec les trous que j’ai dans mes chaussures, je tomberais malade.
Les choses ont changé quand j’ai eu des formes. Ma mère me lavait le visage en disant :
— Tu as un beau visage, il faut le montrer et sors ta poitrine.
Quelle poitrine ? Ah oui, j’en ai un peu...
À 18 ans, je vendais facilement mes fleurs, même quand elles n’étaient pas belles. Je me laissais caresser par des messieurs, en général âgés. C’est à ce moment-là que ma mère a rencontré un nouvel homme. Elle s’est vite rendu compte que ce n’était pas « sain » d’avoir une fille à la fois jolie et nettement plus jeune qu’elle. Elle m’a donné quelques pièces en disant :
— Va falloir te débrouiller de ton côté, Éden.
J’ai trouvé une petite chambre assez minable. Il y avait moyen de prendre quelques cruches d’eau dans la cour. Cela me permettait de boire et de me laver, ainsi que mes vêtements. Dire que me retrouver seule m’a fait plaisir serait exagéré. Je trouvais que ma mère avait été très dure, mais elle m’a rendu service. Lavée, je me suis mise à vendre mes fleurs et mes fesses... Le prix n’était pas du tout le même et bientôt, j’ai abandonné le commerce des fleurs pour la galanterie, comme on dit. Une collègue... m’a dit : 
— Méfie-toi des souteneurs, leur seul but c’est de te faire travailler le plus possible et te prendre tout ton argent.
— Merci, tu es gentille, mais je vends juste mes fleurs.
Elle rit, moi aussi, un tout petit peu. En fait, je cherche les messieurs qui m’offrent de l’argent. Il y a un proverbe qui dit « La fin justifie les moyens », je dirais plutôt : « La faim justifie les moyens ». Les clients sont en général des hommes d’un certain âge, ils veulent une fellation et parfois me baiser par devant ou par derrière.
Ce n’est pas le métier dont je rêve, mais je me dis que si je suis belle, propre et parfumée, fatalement, un homme riche va tomber amoureux de moi. Je vends mes fleurs et souvent mes fesses dans le quartier des brasseries.
J’ignorais que tout se sait à Paris. Ce soir, je propose des fleurs odorantes que j’ai achetées au marché aux fleurs. Une jolie jeune femme vient les regarder. Quand elle bouge son visage, je vois qu’elle a une cicatrice sur la joue gauche. Ça ressemble à une blessure faite avec un couteau. Je lui dis :
— Vous voulez des fleurs, Mademoiselle ?
— Peut-être, c’est combien ?
— Pour vous, c’est gratuit, j’ai fait une bonne journée.
Elle me regarde en souriant, je baisse les yeux, mal à l’aise. Elle répond :
— Tu crois vraiment que ton vrai commerce peut passer inaperçu ?
Je sais qu’elle sait ce que je fais. J’ai déjà vu des gamins me regarder du coin de l’œil un peu trop souvent. Pas la peine de nier, je réponds :
— Ma mère m’a chassée de la maison parce que mon beau-père me tournait autour, alors... je dois me débrouiller.
— Je comprends, mais je vais m’occuper de toi, tu vas avoir un vrai métier.
Ce n’est pas un souteneur mais c’est sans doute l’équivalent en femme, je... Elle me dit :
— Ton silence est insultant.
— Non, je vous jure, mais... j’ai peur.
Elle me tend la main en disant :
— Je t’engage et je ne suis pas une maquerelle.
Je lui serre la main. Qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Elle ajoute :
— On va habiter ensemble, tu sais danser ?
— Euh...
— Tu es souple ?
— Ça oui...
On monte vers le haut quartier de Montmartre. Elle m’explique un peu... :
— Un homme riche a acheté une très grande maison pour la transformer en brasserie.
Je réponds :
— Et je serai serveuse ?
— Non, danseuse. Il y a une danse qui s’appelait le chahut, puis qui est devenue le cancan ou french cancan. Tu seras ma cinquième danseuse et tu auras l’occasion de rencontrer des hommes riches et de coucher avec eux, si tu veux. Je danserais volontiers, mais avec ceci...
Elle montre sa cicatrice du doigt et ajoute :
— Ce n’est pas possible.
— Je vous trouve très belle même avec la cicatrice.
— Merci... mais je fais peur aux hommes. Ils n’ont pas spécialement envie des filles qui se battent au couteau.
C’est vrai qu’elle est belle, elle a des cheveux et des yeux noirs, un petit nez et un beau corps. Je lui demande :
— Je suis peut-être indiscrète, mais où est celui qui vous a fait cette cicatrice ?
Elle désigne le sol en disant :
— Ce fils de pute brûle en enfer. Ah, je m’appelle Clémence mais je ne suis pas clémente dans les bagarres.
Elle rit... moi aussi. On arrive devant sa brasserie... c’est grand et beau. Je lui dis :
— Quel bel établissement... il a dû coûter la peau des fesses... pardon.
Elle rit :
— Tu vas les montrer tes fesses, alors tu peux en parler. Le patron a les moyens.
Ça ne me dérange pas du tout de les montrer, c’est comme ça que je gagne ma vie. On entre dans la brasserie. Il y a pas pas mal de monde : trois filles qui me ressemblent, des jolies blondes, une fille également aux cheveux noirs et deux hommes costauds. Clémence leur dit :
— Et voici la cinquième danseuse. Nadia, tu as une semaine pour lui apprendre. 
— C’est peu madame. Je peux la punir ?
— Une fessée, pas plus... tu sais que vos fesses ne doivent pas être marquées.
Mais, j’en veux pas moi des fessées, j’en ai eu assez quand j’étais petite !
Les filles m’entourent, elles me demandent mon nom et se présentent. Elles sont sympas. Il faut que je m’entende bien avec Nadia, la brune. Une des blondes me dit :
— Panique pas, elle ne donne qu’une claque sur les fesses, pas plus.
J’aide les filles à tout arranger. Il y a un grand comptoir et certainement une trentaine de tables, plus des chaises, bien sûr.
J’appréhende un peu l’apprentissage. Le soir, on mange bien et on a même droit à deux verres de vin. On parle. Ce sont toutes des filles du peuple, comme moi. Clémence les a choisies pour leur physique.
On ajoute un lit dans une grande pièce du premier étage transformée en dortoir. Je ne peux pas dire que je sois à l’aise. Est-ce que je saurai danser comme ils veulent ? 
Il fait chaud, les filles se déshabillent et ne mettent pas de chemise de nuit. Quand je suis nue, elles m’entourent et me touchent les seins et les fesses. L’une d’elles me dit :
— Elle t’a choisie pour tes fesses, comme nous. 
Je lui demande :
— On doit danser nue ?
— Non mais à différents moments, on doit tourner le dos, se pencher et soulever nos jupes pour montrer nos fesses en criant « yiiiippp yiiippp. »
— Sérieusement ?
— Oui, les hommes raffolent de ça. Le grand patron nous appelle « mes vénus callipyges ».
Je la regarde, ahurie. Elle m’explique :
— Callipyge est un mot grec qui signifie « qui a de belles fesses ».
— Et on peut faire ça ? Je veux dire, c’est permis ?
— Pas vraiment, mais le patron sait quand il y aura une visite des perdreaux... des policiers, si tu préfères.
— Ah oui, je vois... Je... j’ai peur de cette nouvelle vie. Je pourrais dormir avec une de vous... s’il vous plaît.
Une fille me dit :
— Te tracasse pas, madame va venir te chercher, tu es son genre.
Je ne demande pas pourquoi, je ne suis pas sûre que ce soit agréable. Je m’assieds sur le bord de mon lit. Une des filles, Clara, vient s’asseoir à côté de moi en disant :
— Si elle ne vient pas, tu peux dormir avec moi.
Ça fait rire les autres filles. L’une d’elles dit :
— Vive les futures mariées !
Je me sens plus à l’aise, jusqu’à ce que la porte s’ouvre et que Clémence passe sa tête en disant :
— Viens avec moi, Éden.
— Oui Madame.
Là, les filles ne rient plus... Manifestement, Clémence est la patronne ici. Je la suis jusque dans sa chambre... Oh ! Elle a un grand lit, une commode et même un miroir. Elle enlève sa chemise en disant :
— Mets-toi nue et montre-moi ce que tu sais faire avec ta petite langue.
Ça, je sais le faire. Elle se couche sur le lit, les bras croisés derrière la nuque. Je vois d’autres cicatrices sur une de ses cuisses et sur son avant-bras gauche. C’est caractéristique des combats au couteau : on pare avec le bras gauche. Sinon, sa peau est ambrée, je crois que c’est le mot et elle a quatre taches très sombres : sa chevelure, ses aisselles et son pubis. Moi qui suis blonde comme un champ de blé mûr, j’aime les brunes. Elle n’a pas son couteau, mais c’est la patronne, alors je lui fais « allégeance » en commençant par lui embrasser les pieds. Ils sentent le cuir de ses chaussures et sa sueur. J’aime et pas seulement parce que j’ai peur d’elle. Ses pieds ont une odeur... sauvage. Je les embrasse soigneusement puis je remonte jusqu’à son sexe en embrassant ses mollets et ses cuisses. Elle écarte bien les jambes et je suis nez à nez avec une belle chatte noire qui, elle, sent plutôt... les filles du Sud et la marée. Je la lèche soigneusement tandis qu’elle caresse mon dos avec le pied. Ça veut dire qu’elle aime ce que je fais. 



Je sais bien qu’il y a un homme derrière tout ça, mais elle me défendra. Elle jouit... et me dit :
— Si tu veux, tu peux te caresser.
— Euh, non merci... Je peux dormir avec vous ?
— Oui.
C’est ce que je souhaitais... Je sais bien que les danseuses qui donnent des cours ont la réputation d’être sévères, mais tout le monde va savoir que j’ai passé la nuit avec Madame.
Demain, je vais faire tout ce que je peux pour danser le mieux possible...
Demain, je... je m’endors.

À suivre.

Un grand merci à Bruce Morgan pour le super dessin.

Notre nouveau livre s’appelle : « Lizy, soumise autour du monde », il y a 60 illustrations de Bruce Morgan et vous allez l’adorer.
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